Interview Philippe Toretton, le Télégramme

Publié le par guenaellebd

Affaire d'Outreau. Émouvant Philippe Torreton1450567 10607496-reg02-20111003-t114a

3 octobre 2011

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À l'affiche dans le film «Présumé coupable», l'acteur PhilippeTorreton interprète prodigieusement la douleur d'Alain Marécaux, l'huissier de justice acquitté dans l'affaire d'Outreau.

Vous dites n'avoir réfléchi à l'ampleur de ce rôle qu'après avoir dit oui? 
C'est vrai, c'était instinctif. Après la lecture du scénario, j'étais en état de choc. Comme beaucoup de gens, j'avais suivi cette affaire dans les journaux. Quand j'entendais la presse dire qu'un réseau pédophile était démantelé, je me disais tant mieux que des salauds soient arrêtés. Et quand les doutes ont commencé à s'installer, j'ai suivi le train de ce que l'on me donnait à lire et à voir, comme des millions de Français. En lisant ce scénario, j'ai été plongé dans les détails, l'absurdité de cette tragédie humaine. 

Comment avez-vous abordé ce rôle d'AlainMarécaux? 
Le malheur d'Alain et de sa famille m'a bouleversé. Je suis peut-être la personne qui a été le plus loin dans l'empathie avec lui. J'avais à épouser son émotion -et encore le mot est faible- et à en rendre compte pour que les gens aient une idée assez juste de ce que c'est d'être victime d'une telle arrestation. Mais jusqu'au bout, je me suis interrogé sur cette interprétation. D'ailleurs, je n'ai toujours pas de réponse. C'est peut-être cet instinct qui a été un déclencheur. Aujourd'hui, je peux dire que le régime auquel je me suis soumis a certainement aidé. Je me suis également isolé... Mais il y a tout un ensemble de choses qui font que c'est compliqué de dire par où c'est passé. Ce qui compte le plus, c'est de faire confiance à cet instinct. 

Comment, d'après vous, une telle erreur judiciaire a-t-elle pu se produire? 
C'est d'abord un défaut d'homme. Cette justice a été tellement minable. En premier, c'est FabriceBurgaud, le juge d'instruction, qui a enclenché le mauvais rail. Il a bâclé le travail par son incompétence et tout le monde s'y est engouffré. Pourtant, les garde-fous existent, la justice française n'est pas si mal faite. Souvent, avec le producteur ChristopheRossignon et le réalisateur VincentGarenq, on se disait que si ça n'avait pas été pas vrai, ça aurait pu être comique. AlainMarécaux a été nommé par MyriamBadaoui (principale accusatrice, condamnée à 15 ans de prison ferme), car son nom était écrit sous une photo présentée par les policiers. Voilà comment on brise des destins, comment il a été arrêté, sa femme aussi, ses enfants placés dans des foyers. 

Fabrice Burgaud a été nommé à la Cour de cassation en septembre2011, l'ancien garde des Sceaux Pascal Clément a remis en question la véracité du film? Cela vous met-il en colère? 
Pour Burgaud, qu'il suive son parcours à la Cour de cassation, pourquoi pas. Mais moi, j'ai tendance à dire que tous les gens qui ont eu le dossier entre les mains devraient, à vie, ne plus avoir de relation avec la justice. Pour la phrase de PascalClément, c'est à vomir. Un vrai scandale. Mais on vit tout de même dans un drôle de pays. On accepte plein de choses. Par exemple que des présentateurs de télé interviewent leurs copains politiques, qu'on mette vingtans à avoir une liste de commissions et de rétro-commissions dans l'affaire Karachi... Alors oui, dans ce monde-là, je veux bien être un acteur en colère, engagé. Le cinéma, ça sert aussi à mettre des caméras là où personne ne va. 

On est plus habitué à vous voir jouer des personnages combatifs. Ici, la seule revendication d'Alain Marécaux, c'est mourir, non? 
Oui. Mais ce personnage est héroïque, par nature, parce qu'il a survécu, même si lui ne se voit pas comme ça. Il est exceptionnellement monsieur tout-le-monde. Quand on imagine un peu -et c'est ce que j'ai fait pendant des mois- ce qu'il a enduré... C'est une torture incroyable, un dépouillement de tout. On ne lui a rien laissé, à peine la vie, à48heures près. 

Quel est votre lien avec lui aujourd'hui? 
Je ne sais pas trop, un lien fraternel. On est des frères de sang, comme les Indiens qui mélangent leurs plaies, on a fait pareil avec nos douleurs. Lui avait un gros sac, moi un petit, mais on a mis ça en commun pour le film. La projection avec la famille d'Alain a été très forte. Une personne proche de lui m'a dit: «Je comprends maintenant à quoi ça sert le métier d'acteur». Il y a plein d'artistes qui aimeraient entendre ça. J'ai la certitude, comme dit Hamlet, que «le théâtre sera là où je prendrai la conscience du roi». Notre métier est un attrapeur de consciences, royales ou pas. On donne à voir et à réfléchir.

  • Propos recueillis par Guénaëlle Baily-Daujon
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